Dans ce premier portrait de la série Des Ailes, Lucie Care donne la parole à Anne Lorho, enseignante spécialisée à l’IJA de Toulouse depuis plus de 20 ans, pour nous parler avec passion de son métier.

Loin de se limiter à l’enseignement d’une matière ou de techniques, sa mission consiste à proposer des approches pédagogiques et techniques adaptées à chaque type de handicap et à différents âges, et à transmettre des usages spécifiques aux enfants comme aux équipes qui les entourent en milieu ordinaire. Un vrai travail de jongleuse…

Dans une petite salle de l’IJA de Toulouse, 6 enfants s’affairent. La salle ressemble à n’importe quelle salle de cours de maternelle. À deux exceptions près : elle est plus petite qu’une salle ordinaire, car on y accueille moins d’enfants, et les 6 enfants sont déficients visuels. À la demande de leur enseignante, ils préparent le « coin regroupement », lieu quotidien de lancement de la classe, en s’entraidant, avec pour seules interventions de leur enseignante, des consignes et des encouragements. Ils vont ensuite être sollicités pour choisir la responsabilité qu’ils souhaitent exercer ce jour : s’occuper de l’appel, de la date, du rangement, du goûter, être chef de rang ou aidant…

Cette première activité consiste à poser son symbole (visuel pour ceux qui voient ou tactile pour ceux qui ne voient pas) sur un tableau de présence, à rassembler des lettres, en attaché, script ou majuscule, pour former des mots pour écrire la date par exemple, avant d’attaquer le cours, consacré ce jour-là à définir les outils qui conviendront le mieux à chacun pour l’apprentissage de la lecture : pour certains, ce seront des lettres plus grandes, pour d’autres en couleur ou plutôt noires, ou encore en braille.

Une très grande polyvalence

On l’a bien compris, l’enseignant spécialisé, sur tous ces moments-là, se distingue d’un enseignant de classe ordinaire par son approche très individualisée et sa grande adaptabilité, que ce soit dans la façon d’aborder les questions pédagogiques ou les types de déficience visuelle, donc les techniques spécifiques qui vont permettre de les compenser.

Autre caractéristique forte de l’enseignant spécialisé, les missions qu’il assume au-delà de la transmission des savoirs. C’est lui qui assure le rôle d’interface entre le milieu ordinaire et l’établissement spécialisé (où toute solution se décide en équipe pluridisciplinaire, avec le rééducateur basse vision, l’instructeur en locomotion, la psychomotricienne, etc.).

Il s’agit ainsi d’assurer le suivi d’inclusion, pour mettre toutes les chances de réussite du côté de l’enfant.

En quoi ça consiste ? À aller dans les écoles pour transmettre des outils et des techniques (outils de géométrie, braille, cartes en relief, adaptation des consignes…), tout autant à l’enfant qu’à l’AESH, l’enseignant et l’équipe qui les entoure (directeur, psychologue, animateurs de l’ALAE…).

Leur laisser expérimenter l’autonomie

L’enseignant spécialisé gère ensuite les regroupements une ou deux fois par semaines à l’IJA. Regroupements qui permettent aux enfants « d’être avec leurs pairs » et surtout de ralentir le rythme « qui est trop rapide en milieu ordinaire », commente Anne Lorho.

« On parle lentement, on explicite beaucoup – car il y a beaucoup d’implicite dans le langage, ce qui est plus compliqué pour un non-voyant – et on évoque aussi les expériences, les difficultés, ce qu’est être voyant, non-voyant, pour travailler sur la prise de conscience du handicap et la place de l’enfant, avec son handicap, en classe ordinaire ».

Chaque enseignant mène ensuite sa classe avec sa personnalité. L’un des axes forts que privilégie de son côté Anne Lorho est le travail sur l’autonomie et la collaboration. Pour elle, laisser ses « petits » organiser l’espace du regroupement, négocier pour se partager les responsabilités, s’immerger à tour de rôle dans la fonction d’aidant, leur permet de travailler des techniques comme l’organisation de l’espace (placer les chaises sans qu’un voyant le fasse, comme c’est souvent le cas en milieu ordinaire) aussi bien que la socialisation, « car un enfant très déficient visuel reste souvent plus longtemps égocentré qu’un enfant ‘ordinaire’ de par sa difficulté, entre autres, à décoder les signes non-verbaux ». Résultat ? « Ils se découvrent tous capables d’être des personnes ressources alors qu’en milieu ordinaire, ils sont plutôt les ‘ayant besoin de’… »

Merci à Anne Lorho pour son témoignage
Merci à Camille Pons pour la rédaction