En 2018, Lucie Care s’est associé à la fondation Leïla Fodil pour financer le fonctionnement d’une école de jeunes aveugles à Ségou au Mali.

L’association est reconnue d’utilité publique depuis 1992. Elle œuvre pour l’amélioration de la santé des enfants dans les pays en développement tels que le Mali, le Viêt-Nam, l’Algérie ou l’Inde.

En 2011, l’école des jeunes aveugles de Ségou a été construite au sein même de l’école publique de la ville. Le projet a été financé par un charitable donateur et sa famille devait par la suite assurer les dépenses de fonctionnement de l’école.  Cependant le donateur s’est désengagé et, pour faire vivre cette école indispensable aux enfants aveugles du pays, la fondation Leïla Fodil a fait appel à notre fonds de dotation.

Les Maliens possèdent trop peu de structures adaptées pour accueillir les jeunes déficients visuels. Cette école est l’un des rare moyens de les prendre en charge, de les faire sortir de leur domicile ou d’éviter qu’ils ne mendient.

Rencontre avec Jean Bernard Joly, le président fondateur de la fondation pour vous transmettre à vous, chers donateurs, les avancées de ce projet.

ségou

 

Le fonctionnement de l’école

Construit en 2011, le bâtiment dédié aux enfants aveugles est tout à fait novateur. Il est construit au milieu des bâtiments de l’école publique mais dispose de sa propre direction et de professeurs spécialisés.

Les trois enseignants sont volontaires et issus du système public malien. Ils ont été formés par l’Union Malienne des Aveugles, basée à Bamako. Cette union recueille des aveugles et les aide dans leur parcours scolaire mais avec des moyens bien moindres qu’une école pour aveugles européenne. La formation des enseignants est donc certes superficielle mais plus qu’essentielle.

L’école dispose de poinçons pour apprendre le braille aux quelques 22 élèves. Elle met également à disposition deux machines à écrire en braille. Si ce matériel peut sembler on ne peut plus primaire dans une école européenne, il est pour le moins inhabituel voire exceptionnel dans ce pays, tant pour les élèves que pour leurs professeurs.

Les représentations sociales maliennes du handicap

Un aveugle au Mali est perçu comme un individu non productif qui ne sera alors qu’une charge pour sa famille. Il est donc souvent laissé pour compte toute la journée, seul dans ou à l’extérieur de la maison.

Parfois, s’il arrive à se déplacer seul, le déficient visuel va mendier dans les rues. « Mais la mendicité à Ségou peut conduire à la prostitution » nous confie Jean Bernard Joly. En somme, les aveugles, et plus généralement les personnes porteuses d’un handicap « sont considérées comme les parias des parias ». Ils sont stigmatisés, jusqu’à être victimes de violences physiques voire sexuelles.

Si la situation progresse et la stigmatisation se fait moins intense, l’évolution est plus que lente et l’intégration reste difficile. J.B. Joly effectue une comparaison avec la France. Dans notre pays, un aveugle sans troubles intellectuels suit un parcours adapté et peut recevoir une qualification comme tout citoyen. Mais au Mali, pour un aveugle sans difficultés intellectuelles, l’issue est plus qu’incertaine puisqu’il n’est pas considéré comme l’égal des autres.

De plus, beaucoup d’aveugles maliens ont des retards intellectuels importants mais aucune activité adaptée à leurs troubles associés ne leur est proposée.

Les deux seules structures spécialisées dans l’accueil des jeunes déficients visuels se situent à Bamako et à Ségou. Pour l’ensemble du pays ! Ces établissements sont donc particulièrement isolés et ne disposent pas de modèles ou de soutiens. Jean Bernard Joly recherche actuellement une école pour jeunes aveugles africaine non malienne avec laquelle l’école de Ségou pourrait dialoguer. L’objectif est de perfectionner le suivi réel des études des enfants et de les aider plus efficacement dans la recherche de leur avenir.

Un grand pas en avant vers la reconnaissance

À l’échelle de la situation dans laquelle sont placés les handicapés visuels au Mali, le maintien du fonctionnement de l’école permet de progresser à pas de géants en matière de reconnaissance sociale. Certes le bâtiment a sa propre direction et ne prend en charge que des enfants aveugles, mais sa disposition est tout à fait remarquable. Comme le souligne J.B. Joly, « c’est une école dans l’école ». Le bâtiment étant entouré par ceux de l’école publique, ce sont 800 élèves qui se retrouvent à l’heure de la récréation.

Les enfants aveugles scolarisés à Ségou sortent alors de chez eux pour rejoindre un espace sécurisé. Ils jouent, discutent avec les enfants clairvoyants et reçoivent en même temps une formation scolaire.

L’avantage est double : les enfants déficients visuels reconnaissent enfin eux-mêmes qu’ils sont des personnes respectables et les enfants clairvoyants les reconnaissent également en tant que telles. Ce reconnu social est un grand pas, reconnaît Jean Bernard Joly, mais, pour lui, il existe encore un long chemin à parcourir.

Evolution du projet compte-tenu de la situation malienne

Ségou n’est qu’une ville de 200 000 habitants, la brousse environnante est beaucoup plus peuplée. Or, aucun système d’accueil ne permet de loger les enfants aveugles des alentours de Ségou. Construire un internat sera donc peut-être une des prochaines étapes à franchir, mais Jean Bernard Joly souligne qu’il faudra du temps…

Un enjeu communicationnel se dessine également. Il s’agit de parvenir à informer les proches habitants pour les convaincre d’inscrire leur enfant déficient visuel à l’école de Ségou. Il faut à la fois localiser les enfants déficients visuels et informer leur famille de l’existence de l’école. Mais aussi parfois les convaincre de les laisser intégrer l’école plutôt que de les laisser seuls chez eux. La difficulté est alors de le faire comprendre que l’enfant n’est pas une charge, qu’il n’est pas improductif et que l’école lui permettra de développer ses capacités.     

Le projet est effectivement une entreprise des plus fastidieuses qu’il faut savoir mener d’une main de maître tant le pays est miné par les attaques extrémistes.

La manière la plus efficace est de se rendre sur place, mais Jean Bernard Joly n’a pas pu visiter l’école depuis 2015 (alors sous protection policière). La situation est certes trop dangereuse pour lui, mais il mettrait également en danger la sécurité de son correspondant sur place.

La communication est donc plus que ralentie et s’il est difficile d’obtenir les notes des élèves au diplôme d’études fondamentales, nous savons tout de même que quatre d’entre eux ont réussi à intégrer cette année le lycée de Bamako.

Pour développer le projet, il faut des discussions entre maliens mais cela prend du temps étant donné la complexité du contexte national. Jean Bernard Joly nous révèle la clef du succès : la patience. Il faut se plier au proverbe africain « vous avez des montres, nous avons le temps ».

Il estime à une dizaine d’années, au moins, le temps requis pour aboutir à une école plus structurée avec toutes ses composantes (accompagnement vers les études secondaires et recherche d’avenir). Les dons se révèlent plus que nécessaires pour porter ce projet à terme.